Gaule, 2ème – 3ème siècles de notre ère : des épisodes de « peste » touchent le cœur de l’empire romain et ses provinces, dont la Gaule, à situer aujourd’hui en grande majorité en France, en Belgique et au Luxembourg. Ces événements catastrophiques entrainent des situations parfois surprenantes. Grâce à l’archéologie, certaines réactions de populations confrontées aux épidémies sont mises en évidence.

La multiplication
des trésors enfouis

Les économistes et historiens de l’Antiquité constatent déjà le principe de thésaurisation, à savoir la non-récupération d’argent épargné. Cacher son bien, grand ou petit, sous forme de bas de laine est un procédé vieux comme le monde, ou plutôt vieux comme la monnaie qui, en Gaule, fait son apparition vers 300 de notre ère. Différents facteurs peuvent expliquer ces vagues d’enfouissements de trésors, souvent limitées à quelques années, rarement plus d’une décennie.

L’une de ces explications est purement économique. L’homme, en prévision de « temps difficiles » rassemble et cache ses économies. L’autre explication généralement avancée pour l’Antiquité est l’instabilité politique. Les réactions à la peur générée par les « invasions barbares » entraineraient également une tendance à l’épargne, même si cette hypothèse reste pour le moment non vérifiable faute de sources historiques rapportant cette pratique.

Les invasions, couplées aux difficultés économiques, auraient donc été le moteur des enfouissements monétaires repérés en Gaule. Toutefois, les historiens ont cartographié des lieux de dépôts de monnaie sur l’ensemble de la Gaule, y compris dans des zones reculées où l’hypothèse du passage de « hordes barbares » est peu vraisemblable.

Les trésors enfouis,
conséquence des épidémies ?

Pour le moment, très peu d’historiens évoquent les épidémies pour justifier la non-récupération de trésors souvent enterrés sous un arbre, au fond du jardin. Cependant, les sources littéraires mettent en évidence la relation entre l’importance de ces épidémies, touchant toutes les classes de la population, et la multiplication des magots enfouis. Bien attestée à Carthage vers 250 de notre ère, où elle a tué jusqu’à 5 000 personnes en une seule journée, la « peste » sévit de manière permanente pendant presque vingt ans. L’empereur Claude II, dit le Gothique, périt d’ailleurs de cette maladie en 270 de notre ère.

Le dépeuplement de la Gaule
et l’intervention du pouvoir romain

La dépopulation de la Gaule est bien attestée par d’innombrables abandons de domaines ruraux, de villas, et par la réduction de la taille des villes à la fin du 3e siècle de notre ère. Cette dépopulation des campagnes a provoqué l’apparition de l’expression latine agri deserti, un terme juridique qualifiant les terres non exploitées qui, au final, ne rapportent plus rien ni à leur propriétaire légal ni à l’État. Les conséquences de ce dépeuplement sont sans appel : il entraîne à la fois une diminution des rentrées fiscales et des difficultés de recrutement de soldats pour défendre les frontières.

L’Empire romain se doit alors d’intervenir directement. D’une part, certaines zones frontalières sont ouvertes à des populations voisines, le plus souvent germaniques. Originaires d’Europe du Nord, elles s’installent à l’intérieur des frontières de l’Empire, par villages entiers et en respectant leurs traditions, visibles par exemple dans la forme des maisons en bois et dans le mobilier domestique trouvé en fouilles.

L’auteur du IVe Panégyrique, un texte de propagande lu à Trèves en 297 devant l’empereur romain Constance Chlore (293-305), insiste sur le mauvais état des terres autrefois cultivées dans la région de Bavay, d’Amiens et de Beauvais : « Les champs en friche des Nerviens et des Trévires furent cultivés par les Lètes rétablis dans leur pays et par les Francs assujettis à nos lois, ainsi aujourd’hui […] toutes les terres qui, au pays des Ambiens [région d’Amiens], des Bellovaques [Beauvais], des Tricasses [Troyes] et des Lingons [Langres] demeuraient abandonnées, reverdissent sous la charrue d’un Barbare » (passage extrait du Panégyrique IV, paragraphe XXI, ligne 1).

D’autre part, il semble que l’État romain favorise des déplacements internes à l’Empire afin de recoloniser, à l’aide de Romains de souche, des zones inoccupées depuis longtemps. Les archéologues pensent ainsi avoir mis en évidence le long de la Somme, le déplacement de familles originaires de l’île de Bretagne, aujourd’hui la Grande-Bretagne, dans les années 290-300 de notre ère.

Elles sont arrivées sans doute par bateau à Saint-Christ-Briost, dans la Somme, ou encore dans les environs de Boulogne-sur-Mer, emmenant avec elles non seulement leur vaisselle, typiquement insulaire, mais également leurs monnaies, dont celles de deux usurpateurs bretons, Carausius (286-293) et son successeur Allectus (293-297). Ces deux derniers ont dirigé, de 286 à 297 de notre ère soit durant onze années, en Grande-Bretagne un mouvement de révolte vaincu par les troupes de l’empereur romain Constance Chlore.

Les épidémies,
à l’origine de l’abandon des terres ?

Les épidémies sont très vraisemblablement la cause de l’abandon des campagnes en Gaule. Or, ces terres désertées ne fournissent aucun revenu au trésor impérial. Il est donc logique que l’Empire romain cherche à les remettre en culture, soit en déplaçant des populations romaines venant de zones surexploitées, soit en faisant appel à de la main-d’œuvre étrangère, les Barbares en l’occurrence. On retrouve ici le sens pratique romain.

Jean-Marc Doyen, chercheur associé, HALMA (Histoire, Archéologie et Littérature des Mondes Anciens) – UMR 8164